C’est l’ensemble du système qui produit, pas seulement une série de parties.

Dans une ferme permaculturelle, les plantes, les arbustes, les arbres et les animaux sont choisis et organisés de manière à ce que chacun d’entre eux fournisse plusieurs apports bénéfiques à d’autres parties du système global (selon le fameux principe de design permacole : 1 élément = plusieurs fonctions ; 1 fonction = plusieurs éléments).

Par exemple, dans un habitat mixte poulailler/serre, les poules fournissent de la chaleur, du CO2 et du fumier aux plantes, qui en retour fournissent de l’oxygène aux poules (et des récoltes comestibles à l’agriculteur). Ces poules se dégourdissent les pattes dans une cour où sont plantés des arbres qui produisent des milliers de petites graines et de noix, ce qui signifie que la nourriture est cultivée et livrée sur place sans aucune dépense d’énergie de la part de l’agriculteur ! En fait, après la phase de conception, l’apport de l’agriculteur vise à être de plus en plus réduit…

 

Les arbres et les plantes sont donc choisis pour la nourriture, les fibres et/ou le combustible qu’ils produisent, leurs qualités esthétiques et ornementales venant en second lieu. En fait, on pourrait dire que la beauté vient de l’expérience d’une fertilité naturelle florissante – de l’expérience de plantes et d’écosystèmes entiers qui réalisent le meilleur de leur potentiel individuel et combiné.

La principale préoccupation est donc la suivante : comment pouvons-nous organiser, par le biais du design, de nombreuses relations bénéfiques autour du principe selon lequel un élément doit générer plusieurs types de productions qui deviendront des intrants pour ses voisins (nourriture, abri et combustible pour l’agriculteur, mais aussi semences pour la replantation et/ou pour les poulets, matériau de compostage, nourriture et abri pour les insectes amis, etc.)

 

D’un point de vue pragmatique, le principe d’obtention d’une récolte souligne l’importance d’assurer la résilience et la productivité du système, afin que l’agriculteur puisse manger de sa terre, non pas dans quelques années, mais le plus tôt possible. Tous les espaces sont utilisés à cet effet, y compris ceux qui ont pu être négligés dans le passé (jardinières, allées, toits, etc.). Les plantes, arbustes et arbres sont choisis en fonction de leur durée de maturation, de sorte que le système comporte une diversité de plantes à maturation lente, semi-rapide et rapide, ce qui permet de répartir agréablement les rendements en fruits et légumes dans le temps.

 

Repenser les rendements dans les systèmes humains

De cet exemple de jardin, nous pouvons tirer quelques principes utiles :

  1. Une récolte est une production de l’élément A qui peut être un intrant pour l’élément B
  2. Pour que cette production de A soit une récolte, elle doit être recherchée par B en tant qu’intrant parce que B la considère naturellement comme « appétissante » ; en d’autres termes, aucune énergie ne doit être dépensée pour essayer de convaincre B de l’accepter
  3. Plus il y a de types différents de récolte qu’un même élément peut produire, mieux c’est.
  4. Idéalement, chaque production doit constituer une récolte, c’est-à-dire qu’elle devient un intrant pour une autre partie du système. À cet égard, le gaspillage est supprimé dans le système
  5. La production de chaque élément est en fin de compte au service de l’ensemble du système
  6. Plus le système entier prospère, plus les parties prospèrent (sur la base d’une redistribution qui permet de produire davantage d’extrants qui deviennent davantage d’intrants pour les parties)
  7. La vitalité découle de la diversité ; le système produit beaucoup de variétés différentes de produits, plutôt que de produire de grandes quantités d’une ou deux variétés. Ainsi, la vitalité va de pair avec la résilience.

 

Application de la « réflexion sur la récolte » à différents types de systèmes humains

Essayons de jouer avec ces concepts en pensant à un programme de formation à la diversité, à un système de santé et à une école.

 

  • Un programme de diversité dans une entreprise privée

Les permaculteurs savent que la diversité n’est pas seulement utile, elle est vitale ; cependant, il ne s’agit pas d’une récolte à proprement parler, mais plutôt d’un principe de design, dont l’expérience a prouvé l’efficacité à maintes reprises.

 

De nombreuses entreprises s’engagent aujourd’hui dans des programmes visant à promouvoir la diversité des genres, des cultures et des générations, ainsi que des types de diversité moins visibles. Ce faisant, elles sont souvent confrontées, en interne comme en externe, à des questions sur l’utilité et l’efficacité de leurs initiatives : sont-elles nécessaires ? Font-elles la différence ?

Le cadre dans lequel ces programmes sont déployés tend à commencer par la sensibilisation, puis à passer à la formation à la gestion de la diversité, avec parfois un apport supplémentaire de mesures de non-discrimination et de promotion de la diversité. Cependant, il est rare que l’on teste directement la manière dont la diversité peut stimuler leur business, et quelle mixité fera la différence. Tout se passe comme si tout le monde s’engageait à partir de l’hypothèse que la diversité sera bénéfique et qu’il est donc nécessaire de la promouvoir, sans pour autant se préoccuper de l’intégrer en tant qu’impératif stratégique visant à renforcer les capacités et les performances.

Ainsi, la sensibilisation et la formation à la gestion de la diversité produisent des résultats (de meilleures connaissances et compétences sur les questions en jeu), mais on ne peut pas vraiment parler de récolte, car il faut encore dépenser (beaucoup) d’énergie pour convaincre les managers de l’utilité de mixer leurs équipes et de développer l’inclusion. Le jour où les managers exigeront plus de diversité dans les recrutements et les viviers de promotion, cela indiquera que c’est devenu une récolte…

 

Pourquoi alors ne pas renverser l’approche et commencer par une recherche-action sur la manière de faire de la diversité un avantage concurrentiel – concrètement ? En commençant par quelques partisans de l’idée, on obtiendrait à la fois des performances commerciales accrues, de nouveaux modèles de fonctionnement, des exemples concrets de réussite dans l’établissement d’un lien entre diversité et performances, ainsi qu’une mine de données ancrées dans la culture de l’organisation sur ce qui a aidé et ce qui a entravé ce voyage vers le changement, qui pourront ensuite être utilisées dans des programmes de gestion de la diversité.

 

Ces programmes devront alors être conçus de manière à ce que chacun de leurs éléments produise plus d’un résultat et qu’ensemble, ils stimulent la diversité dans le système par le biais d’un processus de boucles de rétroaction positives : des programmes de tutorat qui non seulement développent les capacités des individus, mais se constituent en réseau de soutien susceptible de produire à la fois de l’encouragement/de la résilience et des données sur les problèmes organisationnels, soulevés dans le cadre du tutorat, qui doivent être traités de manière plus générale ; des sessions de sensibilisation qui partent des questions que les participants se posent, puis les relient à des données et à des ressources pour l’action, et aboutissent à quelques volontaires pour lancer de nouvelles approches dans leur service, qui sont ensuite reliés à d’autres et constituent une masse critique de données de confirmation, etc.

 

  • Un système de santé publique

Quelle est la raison d’être d’un système de santé publique, si ce n’est d’améliorer la santé de la population qu’il est censé servir ? Comment alors travailler à reconnecter les personnes, leur vision de ce que signifie la santé, le réseau de services capables de renforcer la santé et les ressources pour le soutenir ?

Katrin Kaeufer, Otto Scharmer et Ursula Versteegen ont réalisé un travail intéressant dans cet esprit en Allemagne.

La première étape consiste peut-être à repenser la santé, non pas comme une récolte, comme quelque chose que l’on produit, mais comme un processus, comme une expérience qui émerge en interagissant avec l’environnement. Il me semble que nous définissons souvent la santé de manière étroite comme le résultat d’une intervention, le résultat d’une opération, d’un traitement médicamenteux, de séances avec un thérapeute. De cette manière, nous fragmentons la question en plusieurs parties, dans un modèle mental plutôt mécaniste et productiviste qui structure ensuite l’organisation de nos ressources en silos.

Et si nous envisagions la santé comme nous envisageons la vitalité de notre jardin ? La vitalité n’est pas une récolte en tant que telle, mais une manifestation de la cohérence entre les différents éléments du jardin, de leur capacité à se nourrir et à s’émuler.

La santé n’est donc pas une planche de carottes que l’on plante et que l’on récolte, ni une haie de mûres qui fait partie de notre paysage de manière récurrente. Elle est liée à la profession que l’on exerce dans la société, au sentiment de valeur et d’appartenance qu’elle procure, au type d’accès à la nourriture que l’on a, à la résilience de son réseau de soutien, aux options de traitement auxquelles on a droit et à leur réactivité, et ainsi de suite.

Sommes-nous prêts, cependant, à suivre les implications de la recherche qui montre que les programmes de promotion de la santé cardiaque sont bien plus rentables pour la société qu’une chirurgie cardiaque de pointe ?

Sommes-nous prêts à transformer nos propres paradoxes qui nous amènent à la fois à soutenir des habitudes de vie malsaines qui nous sont proposées afin d’alimenter une économie basée sur la consommation, et à financer des traitements pour les affections causées par ces habitudes malsaines ?

Le problème est trop vaste et trop enraciné pour qu’on puisse l’aborder globalement. Il semblerait plus efficace de tester localement de nouveaux modèles d’approche de la santé publique, puis de voir ce qui peut être reproduit. L’avantage supplémentaire serait de décentraliser les systèmes de santé afin de les rapprocher des utilisateurs finaux.

 

  • Une école

Le Grubb Institute a développé un cadre de réflexion intéressant sur les écoles. Avec le « Reed Rainbow of Human and Social Development », il suggère qu’une école ne sert pas seulement de lieu d’acquisition d’informations et de connaissances (premier niveau de l’arc-en-ciel), mais aussi de lieu d’initiation et d’appartenance des enfants (niveau 2), de maturation et d’autonomisation (niveau 3), et de transformation et de projection dans l’avenir (niveau 4).

En termes de récolte, cela nous invite à réfléchir aux différents champs intérieurs qu’il faut cultiver chez un enfant lorsque nous, en tant qu’adultes, l’accompagnons sur le chemin qui le mènera à devenir le citoyen de demain.

Pouvons-nous créer des expériences d’apprentissage en équipe où c’est l’ensemble de l’équipe qui est évaluée sur son apprentissage, et non des individus isolés ? Associé à un soutien sur la manière de fonctionner en équipe, cela pourrait permettre non seulement de développer les connaissances, mais aussi les capacités à travailler et à décider collectivement, en dotant les nouvelles générations des compétences dont nous avons désespérément besoin pour faire face aux problèmes mondiaux.

Pourrions-nous repenser complètement l’évaluation et la notation, en permettant aux enfants de tester par eux-mêmes dans quelle mesure leur travail est une source de récolte pour les autres dans leur environnement – et de l’ajuster en conséquence ?

Pouvons-nous, en fait, oser, en tant qu’adultes, tester dans quelle mesure les choses que nous offrons à ces enfants sont perçues comme des récoltes par eux ?

Pourquoi ne pas rétablir le sens et la raison au cœur du système éducatif – mais non pas en fonction de ce qui a un sens pour nous, mais plutôt en fonction du sens et de la raison émergents tels qu’identifiés par les enfants (c’est-à-dire ce qui constitue une récolte dans leur désir d’apprendre) dans leurs interactions les uns avec les autres et avec les adultes ?